une histoire a raconter

Les 100 ans de l’Alliance française du Manitoba (1915-2015)

Le 29 octobre 1915 est fondée, à l’Université du Manitoba (située alors à l’angle de Broadway et de la rue Kennedy), l’Alliance française du Manitoba, à l’initiative de William F. Osborne, le premier directeur du Département de français de l’Université. S’établit ainsi une fructueuse implication de ce Département dans la conduite des affaires de l’Alliance, qui se poursuivra pendant de nombreuses décennies. L’invitation à cette réunion fondatrice, dans la presse anglophone, est très large: « French and French-Canadian citizens and English-speaking people specially interested in French are cordially invited ». Cette première rencontre établit une pratique qui durera longtemps : la réunion d’affaires de l’association coïncide avec la tenue d’une conférence. Le professeur Osborne devient le premier président de l’Alliance et le restera jusqu’en 1934; le premier conseil d’administration comprend des notables et des personnalités de la communauté francophone – cette double présence, francophile et francophone, au sein de l’instance dirigeante de l’association demeurera une constante. Par ailleurs, on envisage déjà la possibilité d’offrir un cours de français. Dès le tout début de son histoire, l’Alliance française affiche sa double vocation, culturelle et linguistique.

Le Professeur W.F. Osborne, de l’Université du Manitoba, fondateur et premier président de l’Alliance française du Manitoba de 1915 à 1934.  
-Archives de l’Université du Manitoba

Dès lors, les activités de l’Alliance consisteront essentiellement en la présentation de conférences, portant surtout sur la France (histoire, littérature, patrimoine, etc.). Toujours relayées par la presse anglophone et francophone, ces conférences sont données principalement par des professeurs universitaires locaux ainsi que par des « conférenciers officiels envoyés de France »; au nombre d’une dizaine par année, elles contribuent à animer la vie culturelle en langue française au Manitoba.

La Première Guerre mondiale trouve un écho dans les activités de l’Alliance, comme en atteste, entre autres, l’offre de cours de français, dès la fin de 1915, pour les soldats canadiens se préparant à aller en Europe. Dans les années 1920 et 1930, l’Alliance continue à offrir des conférences, mais leurs sujets se diversifient, le bassin d’orateurs s’élargit, en particulier au Québec, et elles se tiennent désormais dans divers endroits de Winnipeg. L’Alliance propose également des soirées musicales et des pièces de théâtre, jouées souvent par Le Cercle Molière et le Club français de l’Université du Manitoba. En 1938, l’Alliance projette, pour la première fois, des films, mettant en vedette des acteurs français.

En 1938, R. Y. Kilvert, musicienne et femme d’affaires influente, est la première femme à devenir présidente de l’Alliance française du Manitoba; elle le restera onze ans, durant lesquels l’Alliance continue à proposer une large gamme d’activités culturelles. Après « deux ans de silence » au début des années 1940, celles-ci reprennent, avec notamment des conférences, données entre autres par des écrivains français de renom et des personnalités artistiques de la communauté francophone.

De gauche à droite : M. l’Abbé Maurice Pierquin (Laurier, Manitoba), conférencier lors d’une soirée de l’Alliance française du Manitoba; Madame R.W. (Gertrude) Kilvert, présidente de l’Alliance française du Manitoba de 1938 à 1949; M. Adigard des Gautries, consul de France à Winnipeg de 1945 à 1950.
-Archives de la Société historique de Saint-Boniface – Collection générale

Durant les années 1950 et 1960, l’Alliance française, grâce au soutien actif de « personnes éminentes » et du consulat de France à Winnipeg, poursuit, toujours à un rythme régulier, ses « dîners-causeries » ainsi que d’autres activités culturelles et sociales, sans oublier le « thé annuel de cotisation ». En 1958 est mis sur pied « Ciné-Alliance », qui projette des films français à succès. Par ailleurs, l’Alliance française du Manitoba commence à percevoir le rôle qu’elle peut jouer au-delà de ses propres activités : elle participe ainsi, en 1952, à Ottawa à la rencontre de fondation de l’« Union des Alliances Françaises du Canada ».

En septembre 1967, l’Alliance française ouvre, dans une école privée à Winnipeg, un « Jardin d’enfants », destiné aux enfants de 3 et 4 ans, et « des classes de français pour enfants [d’âge scolaire] ». « Assurées entièrement en français », cette maternelle et ces classes sont « complémentaires de l’enseignement dispensé dans la province ». Cette initiative suscite l’enthousiasme de parents anglophones.

L’école maternelle de l’Alliance française (1967-1981) à Balmoral Hall. De gauche à droite, dernier rang: Mme Meredith Jones, co-directrice; l’Honorable Juge Alfred Monnin, président de l’Alliance française de 1967 à 1970; Mme François Leduc, épouse de l’Ambassadeur de France au Canada; Mme T.J. McCaughey, co-directrice; Mme Philippe Bourdon, épouse du Consul de France à Winnipeg; Mme Françoise Daney, institutrice.
- Archives de la Société historique de Saint-Boniface – Collection Pauline Boutal

Pendant la décennie 1970, l’Alliance française poursuit sa programmation culturelle : conférences, concerts, expositions, films, « soirées de musique et de poèmes », etc. Les programmes d’enseignement du français offerts aux enfants se poursuivent également. A la fin des années 1970, l’Alliance bénéficie de subventions canadiennes pour sa programmation culturelle. En novembre 1980, l’Alliance loue, pour la première fois de son histoire, un local qui lui est propre (au 156, rue Spence); des cours de français pour adultes s’y offrent et une permanence s’y tient. Durant ces années, un petit groupe de bénévoles, très engagés, animent les activités de l’association. Mais la disponibilité et le dévouement de ces bénévoles ne peuvent suffire pour permettre à l’Alliance de croître; des démarches sont donc initiées, dès 1981, pour « la venue à Winnipeg d’un directeur nommé par la France ».

L’Alliance française du Manitoba, qui avait fonctionné sur une base bénévole depuis 1915, accueille, au printemps 1984, son premier directeur pris en charge par le ministère français des Affaires étrangères, Michel Mercadié (l’actuel directeur est le septième à occuper ce poste). Cette date marque le début d’une assise institutionnelle de l’Alliance, qui donne lieu à un nouvel essor, tant au niveau des activités pédagogiques et culturelles qu’à celui de la gestion administrative et de la visibilité de l’association.

Sous l’impulsion des directeurs successifs, l’offre de cours de l’Alliance s’amplifie et se diversifie; en outre, l’accent mis sur la formation pédagogique des enseignants accroît la qualité de l’enseignement; par ailleurs, une prise en compte de plus en plus fine de la demande ainsi qu’une « réponse sur mesure » permettent une flexibilité, qui représente un atout pour une compétitivité plus forte sur le marché de la formation linguistique, très concurrentiel à Winnipeg. Ce savoir-faire pédagogique constitue une des conditions nécessaires à la stabilité de l’Alliance : celle-ci est en effet « une école de langue française, dont l’autonomie financière repose avant tout sur les inscriptions des étudiants ».

Parallèlement, l’Alliance prend officiellement possession, le 3 novembre 1993, de ses propres locaux: la maison (sise au 934, avenue Corydon), dont l’association est propriétaire, lui permet d’avoir désormais « pignon sur rue ».

L’effet combiné de la présence d’un directeur et d’un lieu associé à l’association se traduit, entre autres, par une amplification du rôle de diffuseur culturel que joue l’Alliance : conférences, expositions, représentations théâtrales, projections de films, concerts, lancements de livres, etc. se poursuivent à un rythme soutenu, année après année. Ces manifestations, qui bénéficient de subventions canadiennes et françaises, ont lieu dans les locaux de l’association et dans ceux d’institutions partenaires; elles font de l’Alliance française « un lieu de culture, tout autant qu’une école ». En 1988 et 1989, « La Grande Dictée de l’Alliance française du Manitoba », à laquelle participent plus de 1300 élèves du secondaire et adultes, constitue un événement médiatique, illustrant concrètement le type d’actions menées par l’Alliance pour promouvoir la vitalité de la langue française au Manitoba et dont les retombées touchent au rayonnement de l’association.

De plus en plus résolument dans les dernières années, l’Alliance élargit son rôle culturel : non plus seulement diffuseur, mais acteur et opérateur, nouant des partenariats avec des institutions francophones et anglophones. Des projets, tels que De la rivière Rouge à la Vallée noire, le Festival Afri’k!, la Fête de la musique, Farandole et Contes de fils et d’eaux, concrétisent ce « dialogue des cultures francophones », dont l’Alliance française du Manitoba s’attache désormais à être le promoteur, actif et convaincu, auprès d’un public francophone, anglophone et allophone. Une telle vision fait valoir l’apport, à la fois spécifique et complémentaire, de l’Alliance au développement de la francophonie au Manitoba; elle fait également valoir une image d’ouverture, de rassemblement et de pluralisme, que l’Alliance est soucieuse de projeter; elle définit enfin le positionnement stratégique de l’association.

2 exemples récents de projets de création artistique initiés par l’Alliance française du Manitoba /
«Farandole » & « Contes de fils et d’eaux ».

L’Alliance française du Manitoba, association de droit canadien, actualise, avec professionnalisme, originalité et innovation, un triple mandat: école de langue française, centre de ressources et promoteur de création culturelle. Son centième anniversaire constitue l’occasion par excellence pour remercier les partenaires, les organismes subventionnaires, tant canadiens que français (en particulier, depuis trente ans, le ministère français des Affaires étrangères), l’Ambassade de France au Canada et la Fondation Alliance française, et pour reconnaître l’engagement des nombreux bénévoles, particulièrement au sein des conseils d’administration, qui se sont succédé depuis 1915.

Recherche : Huguette Le Gall
Rédaction : François Lentz


Cet historique s’appuie sur un recensement de plus de 900 articles parus dans la presse manitobaine (La Liberté et le Patriote, La Liberté, Libre Parole, le Winnipeg Free Press et le Winnipeg Tribune) relatant les activités de l’Alliance française depuis sa fondation, ainsi que, depuis les années 1970, sur les archives de l’institution